2e Civ., 5 juillet 2018, n°16-21776
Cet arrêt rendu par la 2e chambre civile de la Cour de cassation le 5 juillet 2018 présente un double intérêt concernant l’évaluation et la reconnaissance des préjudices des victimes. Il rappelle d’une part, que les conclusions du rapport d’expertise ne lient pas le juge dans son évaluation du besoin indemnitaire, d’autre part, que l’incapacité fonctionnelle n’est pas une condition d’existence du préjudice d’agrément qui peut être issu d’une incapacité psychique.
En l’espèce, le 13 juillet 2010, sur un circuit fermé lors d’un entraînement de course de motos, M. X a percuté Mme Y. Celle-ci l’a assigné en réparation de ses préjudices.
(M.X a appelé en garantie son assureur lequel lui a opposé une exclusion de garantie – ce point ne sera pas développé)
L’accident étant intervenu entre concurrents d’une compétition sportive et/ou à l’entrainement, dans un circuit fermé exclusivement dédié à l’activité sportive, la loi Badinter ne trouve pas à s’appliquer (article 1er loi Badinter, 2e Civ., 19 juin 2003 ; 2e Civ., 4 janvier 2006). C’est donc sur le fondement juridique de la responsabilité du fait des choses que Mme Y obtient une réparation de ses préjudices. En tant que propriétaire/gardien de sa moto, M. X est responsable des dommages causés par son véhicule lorsqu’il a heurté Mme Y.
Au titre de l’assistance tierce personne temporaire, le rapport d’expertise médico-légale faisait état d’un besoin en aide humaine avant consolidation limité à une certaine période. Sur justificatifs produits par Mme Y, la cour d’appel a constaté l’existence d’un besoin ponctuel en assistance tierce personne (ménagère) supplémentaire, même en cas de reprise de l’activité professionnelle.
Devant la Cour de cassation, M. X contestait l’indemnisation de ce besoin ponctuel aux motifs que la cour d’appel avait indemnisé des heures d’assistance tierce personne sans que la réalité du besoin et son évaluation n’aient été prouvées. Il s’appuyait notamment sur le rapport d’expertise.
La Cour de cassation a considéré que la cour d’appel avait légalement justifié sa décision et rejette donc le moyen dans un attendu de principe détaillé :
« Mais attendu qu’ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que Mme Y… avait eu recours à une aide ménagère dont le coût horaire restant à sa charge, de même que le nombre total d’heures pour une durée que l’expert avait mise en exergue, ont été parfaitement justifiés, et estimé que la reprise de son activité professionnelle était sans incidence sur la nécessité d’une aide ponctuelle à domicile, la cour d’appel, qui a souverainement apprécié la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, a légalement justifié sa décision ; »
Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence assez classique de la Cour qui rappelle régulièrement que le rapport d’expertise n’est qu’un moyen de preuve pour la victime. Celle-ci peut apporter au juge d’autres éléments de nature à justifier la réalité de ses préjudices.
Au titre du préjudice d’agrément, malgré l’absence d’incapacité fonctionnelle à la conduite d’une moto relevé dans le rapport d’expertise, la cour d’appel a constaté que Mme Y n’avait cependant pas repris celle de la moto compte tenu de son état psychologique à la suite de l’accident, caractérisant un préjudice d’agrément.
Dans son pourvoi, M. X reprend la définition du préjudice d’agrément issue de la nomenclature Dintilhac à savoir « l’impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisir » et relève qu’en allouant une indemnité au titre du préjudice d’agrément sans faire le constat d’une réelle impossibilité à la pratique d’une activité régulière antérieure, la cour d’appel a violé le principe de réparation intégrale sans perte ni profit.
La Cour de cassation rejette le pourvoi :
« Mais attendu qu’ayant souverainement constaté que même si l’expert judiciaire avait relevé qu’il n’existait pas d’inaptitude fonctionnelle à la pratique des activités de loisirs auxquelles Mme Y… se livrait avant l’accident, cette dernière n’avait cependant pas repris celle de la moto compte tenu de son état psychologique à la suite de l’accident, la cour d’appel, qui a ainsi caractérisé l’impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement cette activité sportive ou de loisirs, a décidé à bon droit de l’indemniser de ce préjudice »
Dans cet arrêt, la Cour énonce avec force que l’impossibilité pour la victime de continuer à pratiquer régulièrement une activité sportive ou de loisirs peut être d’origine physique mais également psychologique.
Après avoir rappelé qu’une simple limitation dans l’exercice d’une activité sportive ou de loisirs constituait un préjudice réparable ; la Cour de cassation poursuit ses précisions dans la définition du préjudice d’agrément.